La M.S.A. et le Conseil d'Etat
Le blog étant un lieu d’échange, vous trouverez ci-dessous une analyse d’un passionné de Sécurité Sociale. Un petit retour en arrière en 2001, mais qui nous offre des perspectives intéressantes.
Pour ma part, je posterais bientôt un développement sur la M.S.A.
Gontrand Cherrier.
-----
Les caisses de Mutualité Sociale Agricole doivent être constituées sous forme de mutuelles pour le Conseil d'Etat.
Un arrêt du Conseil d'Etat du 16 mai 2001, regroupant deux requêtes (jointes, Nos 221767 & 222315), qui ont été rejetées, est néanmoins plus qu’intéressant : il s'agissait de la contestation du modèle de statuts des caisses de Mutualité Sociale Agricole annexé à l’arrêté du ministre de l’agriculture et de la pêche du 29 mars 2000.
Son importance n’a pas été immédiatement perçue, car la question de l’inscription au Registre des Mutuelles ne se posait pas encore, ce qui explique aussi qu’on ait osé, alors, dire le droit.
Perçu comme une défaite par les requérants, mais sur le seul terrain sur lequel ils s’étaient placés, il a été aussitôt oublié alors qu’il est décisif. En effet, il reconnaît que les caisses de Mutualité Sociale Agricole :
- doivent être constituées sous forme de mutuelles ;
- ne sont ni des syndicats professionnels, ni des sociétés ou caisses d’assurances mutuelles agricoles, ni des compagnies d’assurance ou des associations. Sous entendu : ce sont des mutuelles, puisque dans d’autres arrêts le Conseil d’Etat a justement dit que ce sont des personnes morales de droit privé!
Pour le reste bien entendu il reprend l’exclusion du jeu des directives assurances pour les régimes dits ‘légaux’, ce qui serait un autre débat. Notons néanmoins que depuis cet arrêt le Conseil d'Etat a considéré comme entreprise une mutuelle gérant également ce régime ‘légal’.
Extraits:
Sur les moyens dirigés contre l’ensemble de l’arrêté attaqué :
Considérant que l’article 1002, devenu l’article L. 723-1 du code rural, dans sa rédaction applicable avant l’entrée en vigueur de la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999, permettait aux caisses de mutualité sociale agricole de se constituer sous la forme de syndicats professionnels ; que la modification de cet article par la loi d’orientation agricole qui a supprimé la possibilité pour les caisses de se constituer sous la forme de syndicats professionnels n’implique pas que l’arrêté attaqué, qui a pour seul objet d’établir le modèle de statuts que doivent adopter les caisses de mutualité sociale agricole constituées sous forme de mutuelles, prévoit les modalités selon lesquelles les caisses de mutualité sociale agricole passent d’un statut de syndicat professionnel à un statut de mutuelle ; que le moyen tiré de ce que l’arrêté omettrait illégalement de prévoir les modalités de cette transformation doit être écarté ;
[ Note : Il faut noter que le Conseil d’Etat n’envisage cette constitution que sous la forme de mutuelles, ce qui est capital ! En effet il ne se contente pas de faire des CMSA des «personnes sociales non identifiées» nées toutes armées comme personnes morales de la cuisse du Code rural. Car le Conseil d’Etat a étudié les lois dont il s’agit avant qu’elles ne soient votées… Ce qui importe ici est bien le terme de constitution : il implique nécessairement que c’est dans le respect du Code de la mutualité que cette constitution peut seule se faire.]
Considérant que l’arrêté attaqué n’avait pas davantage à prévoir les modalités d’adhésion aux caisses de mutualité sociale agricole qui sont prévues aux articles 1004 et suivants du Code Rural ;
Considérant que M. M. soutient qu’en prévoyant que les caisses de mutualité sociale agricole sont régies par les articles 1027 et 1085 du code général des impôts, l’article 1er du modèle de statuts conférerait à ces organismes une position dominante abusive en méconnaissance des dispositions précitées du traité instituant la Communauté européenne et serait contraire aux objectifs des directives du Conseil n° 92/49 du 18 juin 1992 et n° 92/96 du 10 novembre 1992 relatives à l’assurance ;
Considérant, toutefois, que les avantages fiscaux prévus par les articles 1027 et 1085 du code général des impôts sont attachés à la qualité d’organismes gérant des régimes de sécurité sociale de base des caisses de mutualité sociale agricole ; qu’il résulte de l’interprétation donnée des stipulations du traité instituant la Communauté européenne précité par la Cour de Justice des communautés européennes, en particulier dans son arrêt du 17 février 1993 rendu dans l’affaire C. 159/91, que les caisses du régime général de sécurité sociale, dans leur activité de gestion du service public de la sécurité sociale dans le cadre d’un régime obligatoire mettant en oeuvre le principe de la solidarité et sans poursuivre de but lucratif, n’exercent pas une activité économique et ne constituent pas des entreprises au sens des articles 81, 82 et 86 du Traité ; que si M. M. fait valoir que ces avantages fiscaux confèreraient aux caisses de mutualité sociale agricole une position dominante dont elles abuseraient sur le marché de la protection complémentaire, ces exonérations, en admettant même que ces caisses puissent être regardées comme jouissant d’une position dominante pour leur activité de gestion d’assurances complémentaires, ne sont pas de nature, eu égard à leur caractère très limité, à les placer en situation d’abuser d’une telle position ; que le moyen tiré de ce que l’article 1er du modèle de statuts serait contraire aux objectifs des directives précitées des 18 juin et 10 novembre 1992 et aux dispositions de la loi du 3 janvier 2001 qui les a transposées n’est, en tout état de cause, pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; que, par suite, les moyens tirés de ce que l’article 1er du modèle de statuts serait contraire aux règles communautaires sur la concurrence ainsi qu’aux objectifs des directives “assurance” de 1992 doivent être écartés ;
[ Note : Il ne faut pas se désoler de ce considérant :
- il met tout de même le doigt dans l’engrenage du possible abus de position dominante, ce qui a été parachevé ensuite dans l’arrêt évoqué plus haut ;
- il sous-entend que si le requérant avait mieux argumenté…
- Rappel : on ne juge que sur les moyens fournis, hors les rares cas où le juge doit se saisir d’office d’un moyen de droit. Raison pour laquelle est vital le travail collectif d’amélioration de nos moyens. En fait ce que le Conseil d’Etat sait ce qu’il y a derrière, derrière se situe bien la violation des directives, mais un peu plus loin, faute de séparation des activités…]
Sur le moyen dirigé contre l’article 4 du modèle des statuts-types :
Considérant qu’à supposer même que les caisses de mutualité sociale agricoles puissent, en tant qu’elles gèrent des assurances complémentaires, être qualifiées d’entreprises d’assurance au sens de la réglementation communautaire, cette qualification n’implique pas pour autant qu’elles doivent être regardées, en droit interne, comme des compagnies d’assurance soumises au code des assurances ; que, par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l’article 4 du modèle de statuts serait illégal en ce qu’il ne prévoit pas, pour les caisses de mutualité sociale agricole qui sont des mutuelles, les mêmes formalités de constitution que celles qui s’appliquent aux compagnies d’assurances doit être écarté ;
[ Note : Une fois de plus le Conseil d’Etat n’écarte pas radicalement l’idée que « les caisses de mutualité sociale agricoles puissent, en tant qu’elles gèrent des assurances complémentaires, être qualifiées d’entreprises d’assurance au sens de la réglementation communautaire » .
Ce qui ouvre la porte aux moyens à soulever vis-à-vis de Bruxelles, notamment : puisque ces mutuelles pratiquent aussi ces assurances, elles ne peuvent échapper au statut de mutuelle défini par le Code de la mutualité pour transcrire les directives. On ne peut isoler leurs activités dans un domaine, légal, pour dire qu’elles n’ont pas à être constituées sous forme de mutuelles, comme le dit le juge judiciaire – jusqu’en cassation !! - puisque le même juge ne peut nier que leurs autres activités, de toute façon, imposent déjà ce respect ! ]
Sur le moyen dirigé contre les articles 21 et suivants du modèle de statuts :
Considérant que les articles 1004 et suivants du code rural prévoient l’élection des membres de l’assemblée générale des caisses de mutualité sociale agricole par les assujettis ; que, dès lors, le moyen tiré par M. MOLLINE de ce que l’article 21 du modèle de statuts en ce qu’il pose la règle de l’élection des membres de l’assemblée générale et les articles suivants relatifs aux pouvoirs de l’assemblée feraient illégalement application des dispositions régissant les seuls syndicats professionnels ne peut qu’être écarté ;
[ Note : Effet, mais légitime ici, du célèbre « sous réserve des dispositions du Code rural » (s’agissant des MSA, ou de celui de la SS dans les autres cas) qui est habituellement utilisé pour dire, contre toute évidence, que les mutuelles n’ont pas à respecter le Code de la mutualité, contre les textes ! ]
Sur le moyen dirigé contre l’article 29 du modèle de statuts :
Considérant que la circonstance que les modalités de dissolution des caisses de mutualité sociale agricole sont proches de celles qui s’appliquent aux syndicats professionnels est sans incidence sur la légalité de l’article 29 du modèle de statuts ;
[ Note : Tiens, vous avez dit dissolution ? C’est parler de corde dans la maison d’un pendu ! ]
Sur les moyens dirigés contre l’article 30 du modèle de statuts :
Considérant qu’aux termes de l’article 30 du modèle de statuts : “Les présents statuts font l’objet d’un dépôt auprès du service régional de l’inspection du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricoles. Ils sont approuvés par l’autorité administrative dans les conditions fixées par le décret n° 99-507 du 17 juin 1999 relatif aux statuts et aux règlements intérieurs des organismes de mutualité sociale agricole ;
Considérant qu’il résulte de la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 que les caisses de mutualité sociale agricole ne sont ni des syndicats professionnels, ni des sociétés ou caisses d’assurances mutuelles agricoles, ni des compagnies d’assurance ou des associations ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que l’article 30 du modèle de statuts-type serait illégal en ce qu’il ne prévoit pas l’application aux caisses de mutualité sociale agricole des règles qui régissent le dépôt et l’approbation des statuts des catégories d’organismes ci-dessus mentionnés ne peuvent qu’être écartés ;
[ Note : De nouveaux statuts-type sont intervenus depuis, ils sont si mal faits qu’ils changent souvent… Mais les CMSA sont bien des mutuelles. Il reste désormais à en faire tirer les conséquences de droit devant le juge civil ! Ou, à défaut, à Bruxelles. En revanche il restera difficile de faire poser une question préjudicielle par un TASS au juge administratif, car on sait bien que la réponse nous serait favorable sur une question sur « MSA-respect du Code de la mutualité »…]
Allen.
-----
Ref. complète : Conseil d'Etat statuant au Contentieux N° 221767 222315 -- 1 / 2 SSR, Mlle Landais - Rapporteur, Mlle Fombeur - Commissaire du gouvernement, Mme Aubin - Président, Lecture du 16 mai 2001.